IER Maroc



Espoirs et expectatives de l’Instance Equité et Réconciliation.

Colloque avec les protagonistes de l'IER deux ans après le publication de son dossier conclusif



Introduction

Il est difficile d'indiquer une date précise avec laquelle faire coïncider le début des années de plomb au Maroc. Les événements qui marquèrent l'histoire du jeune pays sorti de l'expérience coloniale sont unis si étroitement entre eux que la superposition de causes et conséquences rend impossible d'indiquer le moment dans lequel la violation systématique des droits de l'homme (dont la convention internationale pour leur tutelle fut signée par le royaume en 1958) devient pratique politique pour la création du consensus et l'imposition d’une certaine image au pays.
Dans cette recherche j'utiliserai la même période historique de référence indiquée dans le mandat de l'IER institué le 10 avril 2004, qui va de le 1956 à 1999, année de la mort de Hassan II, en tenant bien présentes les limites que cela implique et qui j’espère seront bien soulignées pendant le développement de la recherche. Une période assez longue si on considère l'histoire de l'État indépendant depuis seulement 1956. Hassan II fut le protagoniste indiscutable au début comme commandant des FAR (Force Armée Royal) puis comme roi, amir al-mouminin et chef de la nation, engagé dans la construction d'une nouvelle architecture d'Etat que conserva le roi et le Makhzen (la structure traditionnelle de pouvoir) au centre de chaque trame politique.
Mohammed VI monté au trône après la mort de son père veut marquer, pas seulement dans sa dimension symbolique, le passage du royaume vers une nouvelle phase d'ouverture politique et de respect des DDHH, en acheminant un procès de pacification avec son peuple pour décréter conclue définitivement une des plus sombres pages de l'histoire du Maroc.
Grâce à  l'IER les victimes deviennent protagonistes. Qui a vécu durant des décennies dans la terreur et dans la persécution d'État, qui a été humilié, torturé et privé de la vie pendant des années de ségrégation arbitraire, peut-être a-t-il trouvé avec l'IER la possibilité de rachat, de réécrire l'histoire du pays en maintenant vive la mémoire de tous ceux qui ont perdu la vie dans l'espoir d'un avenir meilleur. Mais ce n’est pas seulement cela. L'IER a souligné la renaissance d'une nouvelle société civile plus audacieuse et déterminée de chaque parti politique, qu'il veut être protagoniste dans la tutelle et dans la recherche de nouvelles garanties démocratiques qui marquent le passage de la condition de sujet à celle de citoyen.
Dans cette recherche j’essaierai de:
Décrire les passages qui ont porté à la création de l'IER à travers les expériences et les espoirs des associations en défense des droits de l'homme.
Analyser les travaux de l'IER et les résultats aboutis en soulignant les difficultés rencontrées dans la construction d’une démarche participative entre les responsables accusés et les militants des DDHH.
À partir des limites et des recommandations avancées pendant cette expérience, comprendre les passages de la justice transitionnelle au Maroc.
Évaluer l'efficacité de telle expérience dans la crédibilité des institutions sous le royaume de Mohammed VI. Si le pouvoir monarchique est prêt à affronter un parcours de catharsis et ainsi renoncer à certaines prérogatives autoritaires pour donner vie à une nouvelle ère de participation démocratique.
La méthodologie utilisée dans la réalisation de cette recherche comprend des entretiens  semi structurés sur deux macro catégories de sujets.
Groupe 1  "Associationnisme marocain au secours des droits de l'homme"                       comprenant au moins un représentant pour chaque tendance différente exprimée à l'intérieur du groupe: AMDH  FVJ  OMDH  Association membres des familles des victimes.
Groupe 2       "Sujets institutionnalisés"                                                  comprenant  des sujets qui ont commencé leur militantisme à l'intérieur des associations au secours des droits de l'homme et qui en suite sont entrés dans les institutions CCDH et IER, en particulier ceux qui ont participé au travail de recherche, et ceux qui ont assumé des responsabilités dans les deux commissions.
Pour suivre les développements et les nouveautés récentes concernant le sujet, j'ai pris en vision systématique les hebdomadaires francophones d'actualité " Tel quel le Maroc"  et "Le journal hebdomadaire."
Les plus grandes limites relevées se réfèrent au temps à disposition et la connaissance élémentaire de la langue locale. Pour la réalisation des entretiens, je n'ai pas relevé de difficultés, tous les sujets ont été disponibles et bien contents de répondre à toutes les questions.
Grâce à cette recherche j'ai connu des hommes et femmes de valeur inestimable, un des moments les plus touchants a été pendant l'interview à Khadija Rouissi quand est arrivé la confirmation de l'identification du corps de son frère Abdelhak Rouissi, l'un des plus anciens disparus du Maroc, militant de gauche disparue en 1964.
« On a identifié finalement le corps de mon frère et le 4 octobre on va faire les obsèques. Il  a été trouvé dans un carré réservé aux « personnes inconnues » dans le cimetière de Sbata à Casablanca. Le processus d’identification a été très long parce qu’ils ont envoyé l’ADN en France. A niveau personnel, personne ne pourra jamais me demander d'être pacifiée. C'est très difficile. Quand mon frère a été enlevé j'avais presque un an et ma mère pour le choc  de sa disparition nous a abandonné pendant 7 ans. Toute notre vie a basculé dans la peur. Je crois que j'aurais fait une vie différente. En quelque sorte  notre vie nous a été imposée. À  l'époque j’étais très jeune et je n'ai fait pas de choix. Aujourd'hui on m'appelle la « sœur de disparu »,  je ne suis pas moi même!
Sur le plan personnel donc, pardonner je ne sais pas...mais sur le plan national je suis pour la réconciliation politique, c'est bien pour le devenir de notre pays et pour éviter le retour à la violence »    

Références historiques

Dans cette première partie je décrirai brièvement les événements historiques au centre des discussions qui sont ressorties pendant les travaux de l'IER, en subdivisant la période entière en au moins trois phases distinctes, pour comprendre dans quelles conditions politiques est née l'IER.
1956-1965 :
Les désordres et les violences qui caractérisent ces années commencent à l'aube de l'indépendance. La structure de la nature du pouvoir n'était pas totalement acquise et les équilibres dans l'exercice du pouvoir entre le mouvement de libération nationale et l'institution monarchique n'ont pas été totalement stables.
La monarchie marocaine, en cours de consolidation après son retour triomphal de Madagascar, voulait se confirmer comme centre principal de décision et de commandement par la prise en main de négociations pour l'indépendance du pays, et manœuvrait habilement pour imposer sa vision de l'État et de la société. De l’autre côté le mouvement national et principalement le parti de l'Istiqlal entendait faire valoir ses droits à gouverner le pays. Les anciennes puissances coloniales et notamment la France, ont toujours joué un rôle clé dans cette rivalité pour protéger ses intérêts économiques et planifier sa stratégie néocolonialiste dans le pays. Dans le cadre de la guerre froide, il valait mieux pour la France soutenir la monarchie dans la tentative de soumettre toute velléité de résistance personnifiée par le mouvement national qui énumérait les valeurs d'une économie planifiée, réclamait la démocratisation des rapports sociaux et la formation d’une assemblée constituante.
De cette instabilité résultaient les premiers affrontements à commencer par la répression féroce engendrant obligatoirement des bains de sang. C'est le cas de l'opération Écouvillon dans le sud du pays quand le Far, appuyé par les forces française et espagnole, ont liquidé les militants de l'ALM (Armée de Libération Marocaine) ou comme les interventions de répression dans le Rif à la fin de 1958 orchestrée et ménagée par le prince l'héritier (mais appuyée par l'aviation française) et chef de le FAR, Hassan II.
À la fin de cette première phase on souligne le renforcement du leadership et la personnalisation du pouvoir de Hassan II à travers le commandement des FAR. Grâce à l'alliance politique entre la monarchie et la France la structure traditionnelle de pouvoir du Makhzen a été modernisée. Sous l'influence de Ben Barka l'aile gauche de l'Istiqlal se sépare du parti en formant l'UNFP (Union national forces populaires). Les tensions intérieures au parti de l'indépendance (Istiqlal) furent extrémisées par la monarchie jusqu’à la scission en augmentant le pouvoir de contrôle de la monarchie sur les élites du parti et en même temps marginalisant pour mieux réprimer les positions extrémistes.
C'est le cas de la répression contre les militants de l'UNFP du juin 1963 au lendemain de la «guerre de sables » entre le Maroc et l'Algérie et de la disparition et l'assassinat de son leader, Ben Barka le 1965 en Paris quand des agents secrets marocains l'ont séquestré, torturé et enfin tué dans la capitale française.
L'IER a aussi localisé avec précision les lieux de sépulture et déterminé l'identité de 11 personnes décédés lors d'affrontement armés dont un groupe de 7 personnes décédées en 1960 (groupe Barkatou et Moulay Chafii) et un autre de 4 personnes en 1964 (Group Cheikh Al Arab)
1965 – 1975
Ces années sont caractérisées par le protagonisme d'une nouvelle génération d'opposants au régime, fils de ceux qui avaient mené la guerre anticoloniale. Ce sont des jeunes insatisfaits du manque de réformes sociales et économiques aptes à intégrer la masse scolarisée, laissant le pays dans un état de pauvreté profonde. La tension sociale explose le 23 mars 1965 à Casablanca avec la révolte guidée par les étudiants de l'UNEM (Union national étudiant marocain) auxquels  s'ajoutèrent successivement les chômeurs et autres secteurs de la société. La répression fut violente, quelques observatoires disent que les morts furent entre  300 et 400. A. Boukhari, dans son livre/témoignage "Les secrets, Ben Barka et les Maroc, un agent des services spéciaux parle"  il en indique 1500. Les travaux de l'IER ont retrouvé 50 personnes enterrées dans des fosses communes auparavant considérées comme "disparus."
Ce fut l'événement clé qui poussa le roi Hassan II à promulguer le 7/6/1965 l'état d’urgence, suspendre la constitution et toutes les institutions démocratiques et concentrer sur lui tous les pouvoirs en base à l'article 35 de la constitution écrite par lui-même (avec l'aide de constitutionnalistes français), et faite approuver en 1962 dans un climat de terreur générale. La férocité autoritaire continue durant tout le début des années 70 envers les étudiants de l'UNEM, le fameux syndicat qui sera ensuite interdit, et le groupe marxiste-léniniste de « ilal-amam ». Ce fut la première fracture sérieuse, à travers laquelle un mouvement social allait se développer non seulement en autonomie des partis d'opposition, mais le confrontant.
Dans ce climat de désordre général naissent les deux coups d'Etat ourdis par l'armée  contre le roi. Le premier fut le 10/7/1971 quand les cadets de l'école militaire d'Ahermoumou, guidés par le jeune lieutenant J'hamed Ababou et le général Mohammed Medbouh, firent irruption dans le palais royal de Skihart en réussissant presque à arriver au roi. Grâce à des témoignages dramatiques des cadets arrêtés décrits dans le livre "Tazmamart, cellules 10" tout le Maroc vient à connaître les conditions de survivance à l'intérieur des bagnes secrets de la monarchie, spécialement celui de Tazmamart aujourd'hui symbole de la férocité du roi. L'IER a localisé avec précision les lieux de sépulture de 89 personnes décédées en cours de séquestration dans les plusieurs bagnes de la mort: Agdez (32), Kal'at Mgouna (16) Tagounite (8), Gourrama (1) et prés de Mansour Ad-Dahbi (1) plus  Tazmamart (31).  Autres 10 cadets furent condamnés à la peine capitale à la fin d'un procès farce d’une durée de seulement trois jours. Leur exécution fut enregistrée par la TVM (la télévision d'Etat marocain) par ordre direct du roi pour ensuite être transmise comme avertissement et message de terreur à la nation. Seulement après l'intervention d'Oufkir les images ne furent pas publiées. Ababou, chef des actions, fut exécuté sur le champ.
La seconde tentative de coup d'Etat arriva presque un an après (16/8/1972) quand le Boeing 747 que transportait le roi de retour de Paris,fut tiré par deux F 5 Marocains partis de la base militaire de Kenitra. Oufkir fut désigné responsable de l'action et « mystérieusement induit au suicide » pendant sa visite au palais royal. Toute sa famille fut emprisonnée pendant 24 ans dans une prison secrète dans le Sahara et puis exilée. Grâce au témoignage courageux de la fille d'Oufkir (Malika Oufkir et Michèle Fitoussi, La prisonnière) aujourd'hui nous avons la connaissance des méthodes et des conditions de vie auxquelles étaient soumises les victimes de l'autoritarisme de Hassan II.
1975-1995
Le Maroc vécut dans un état de terreur généralisée et de soumission des citoyens à l'arbitraire de n'importe quel détenteur du pouvoir agissant au nom de l'État. Les formes de répression sont multiformes et systématiques, elles n’ont épargné aucune contestation qu'elle soit politique, syndicale ou sociale; individuelle ou collective. Les victimes se comptent par dizaines de milliers.
Au milieu des années 70, la question du Sahara et de l’intégrité territoriale a garanti à Hassan II un quasi-consensus interne qui a fait oublier pour un temps de nombreuses entorses portées par son régime aux droits démocratiques des Marocains. Aux yeux de la majorité des forces politiques et syndicales du pays, la question de l’intégralité territoriale était une cause sacrée et il fallait maintenir la paix sociale tant que le Maroc était en guerre contre les séparatistes du Polisario. Les partis politiques, marginalisés et réprimés, souhaitaient, après une décennie d'état d'exception, tenter l'établissement d'un compromis positif avec le roi. L'accord sur la marroquinité du Sahara Occidental a fourni la base pour la création d’un nouveau « consensus national ».  
Mais les citoyens ont payé un prix très cher pour cette paix sociale. En 1981 des événements sanglants éclatèrent à Casablanca suite à une grève générale appelée par la CDT. La répression dans le sang des protestations et contestations dans les rues de Casablanca, se doublait d'arrestations massives. En janvier 1984 des émeutes contestataires ont lieu a Zayou, Nador, Tetuan, Ksar El Kebir et Marrakech pour protester contre la nouvelle paix sociale, l'austérité économique, la menace de libéralisation des prix des produits de première nécessité suite au plan d'ajustement structurel du FMI. En 1990 à Fès il y eut une nouvelle conjoncture internationale et la volonté des syndicats de rétablir leur crédibilité à lancer la grève générale repères dans le sang. L’IER a pu identifier 106 victimes, décédées lors des évènements sur mentionnés. 99 victimes ont été enterrées dans le cimetière de Bab El Gissa et 7 autres victimes dans le cimetière de Abou Baker ben El Arabi, situé près de l’Hôpital Khattabi, cela sans pouvoir déterminer leurs identités. Cependant la présence des familles lors des enterrements pour un certain nombre de victimes a été confirmée.
1995 - aujourd'hui
  À partir de la moitié des années 90, le champ sociopolitique marocain a été traversé par plusieurs interventions, envisageant de nouvelles ouvertures de la monarchie vers l'espace protestataire institutionnalisé et l'intégration des réformes politiques impliquant la promotion des droits de l’homme. Cette évolution politique, favorisée par une situation internationale changée après la chute du mur de Berlin, a été permise par plusieurs éléments intérieurs comme surtout la poussée des acteurs sociaux, expression de la société civile en faveur des droits de l’homme considérés dans leur globalité (politique, culturel ou socio-économique). La redéfinition de règles de garantie mutuelle a donné lieu à la concession par le roi de réformes politiques comme la création l'année 1990 d'un Conseil consultatif des droits de l'homme (CCDH) puis un ministère des droits de l'homme en 1993.

Chapitre 1 : Avant l’IER, la démarche de ses protagonistes

 A partir de 1990 on a vu la création de plusieurs institutions pour la tutelle et la promotion des DDHH dont les plus importants étaient la création du CCDH (Conseil Consultatif Droits de l’Homme) et du ministère des DDHH. Le Maroc avait une mauvaise réputation en ce qui concerne les violations perpétuées au cours des années 60-70-80, mais à partir des années 90 le pays commence à se doter d’instruments pour essayer de régler cette situation. Les ouvertures politiques se poursuivent par la libération des disparus de Tazmamart, Ngouna et Agdane puis la libération des détenus politiques, et dans l'année 1999 la création d’une première commission d'arbitrage indépendante. Cette commission instituée par Hassan II avait dans son mandat seulement d’indemniser financièrement les victimes des disparitions forcées et de détention arbitraire. C'est surtout avec l'arrivée au trône de MVI, que le Maroc se donne une expectative très chargée sur la question d’une nouvelle ère de changement politique personnifié par le jeune « roi des pauvres » dans laquelle s'inscrit l'expérience de l'IER.
 Les associations, les ONG et même quelque membres du CCDH ont d'abord critiqué l'expérience de la commission d'arbitrage qui « en quelque sorte était très bien parce que la réparation c'est toujours une reconnaissance, mais pas suffisant pour la pacification du pays, pour ce but il fallait avoir une commission de vérité». En effet cette première commission d'arbitrage n'avait dans son mandat que d’épurer la vérité sur les violations et l'exil politique et beaucoup n'ont pas voulu donner de crédibilité à ce processus qui n'avait rien de conforme aux normes internationales. Donc cette instance a indemnisé une partie minime des victimes qui toutefois ont participé à ses travaux, mais dans la société restait une forte demande de vérité.
Cette demande va se conjuguer avec les transformations du champ politique impliquant l'arrivée d’anciens militants au parlement, l'alternance dans la conduite du gouvernement et un ensemble de libéralisations et de changements extrêmement positifs qui ont encouragé la création de la nouvelle commission de vérité demandée par la société.
Pour la réouverture de dossier des droits de l'homme la pression exercée par les associations et les ONG engagées dans la promotion de leur tutelle a été donc très importante. Les initiatives tendant à populariser la question des violations, ont été suffisamment  importantes pour la réouverture du dossier que Hassan II avait déclarée clos après les travaux de la commission d'arbitrage de 1999. La réouverture obtenue avec Mohamed VI est jugée par le monde des associations « une initiative positive parce que malgré ses limites, aucune commission des droits humains au monde n’est arrivée à ce niveau ».
Quand l'État a commencé à régler les dossiers, les victimes vont s’organiser en syndicat pour se défendre de façon collective, demandant non seulement la réparation directe mais aussi une perspective de travail global et des objectifs plus élargis pour établir la vérité sur les années de plomb.
Le mouvement des DDHH marocains  commence vraiment à proposer et à s’organiser en comité de coordination premièrement avec les associations des prisonniers politiques (les personnes qui ont été libérées avant de l'année 1999: les rescapés de Ben Mauchid 1984, les séquestrés de Tazmamart 1990-91 et l'amnistie en 1993) et les association des familles des victimes qui étaient déjà dans un réseau de coordination, et ensuite avec la naissance du Forum Vérité et Justice, créé sous l’impulsion de Driss Benzekri.
 Dans ce parcours s'inscrit le colloque national sur les violations graves des droits humains, tenu à l’initiative de l’AMDH, l’OMDH et du FVJ  dans l'année 2001. Ce symposium a représenté un moment d’unité très important au sein du militantisme des droits de l'homme, mais a souligné en même temps des divergences qui ont modifié les relations entre les organisations. Divergences tant sur les analyses politiques et les recommandations finales (après la création de l'IER seulement une partie des recommandations sortie du colloque a été acceptées) qu’envers l'attitude d’une partie de l'élite gauchiste et ses relations avec la monarchie.
Ça n'a pas empêché que les participants aient continué à être unis  après la création de l'IER en faisant sortir des communiqués proposant et en même temps critiquant les objectifs annoncés par l'IER.
 Le document final sorti du Colloque national des associations a remarqué la façon dont cette nouvelle commission devait être établie par l'État et être en même temps indépendante pour enquêter sur les violations graves de droits de l'homme dans le passé et pour proposer des réformes garantissant le non retour à ces violations et pour la préservation de la mémoire. Le  symposium a été créé pour suivre le processus de création de l'IER et pour solliciter la prise en charge de ces recommandations. Tous les travaux de la commission ont été suivis avec une approche de critique et de proposition en même temps.
La pression exercée par la société civile a coïncidé avec la volonté du nouveau roi de tourner la page du passé déclarant en 2001 par dahir, la réforme du CCDH selon les principes de Paris concernant l'autonomie, l'indépendance et les pouvoirs élargis. Aussi sa composition a été renouvelée sur la base de la représentation de la diversité réelle de la société marocaine pour comprendre les représentants des partis politiques, des organisations des DDHH généralistes ou catégorielles, syndicats, organisations professionnelles et ouléma. Donc une composition beaucoup plus élargie et représentative de la société. En même temps ses compétences ont été élargies avec le pouvoir de donner des avis consultatifs sur tout ce qui concerne la protection et la promotion des DDHH et le pouvoir d’autosaisir n'attendant pas que quelqu'un soumette une question de violation. Donc, on s'appuyant sur l’ancienne commission d'arbitrage, le CCDH a commencé à travailler sur la possibilité de présenter des recommandations pour la création d’une nouvelle commission de vérité. En ce temps là Azimal était président et Driss Benzekri secrétaire général au sein de CCDH. Le nouveau CCDH commence à travailler sur ces recommandations et après de longs débats et différences d’opinions, la recommandation finale a été adoptée par consensus, présentée au roi et approuvée. Les membres du CCDH ont été reçus le 7 janvier 2004 lorsque l'IER a été créé par dahir royal. Cette commission a travaillé pendant 23 mois et a remis son rapport final le 30 novembre 2005.
L'IER avait des pouvoirs beaucoup plus larges que la précédente commission d'arbitrage. L'instance était chargée de clarifier la vérité sur les cases des disparitions forcées, donner des solutions aux problèmes des familles et de procéder à l'indemnisation directe des victimes. Elle devait aussi élaborer des autres modalités de réparation appelée indirectes, concernant la santé physique et mentale, la réinsertion sociale et la réglementation de la situation administrative et financière des victimes qui au moment de la répression ont été privés de leurs droits: soit parce qu’ils n'ont pas intégré leur fonction, soit en tenant compte du plan de carrière qu’ils auraient pu avoir s’ils n’avaient été victimes de violations.
Pendant 23 mois l'IER a travaillé sur l'établissement de la vérité à travers plusieurs difficultés à partir de la période d’investigation de 43 ans qui représente la période la plus large sur laquelle une commission de vérité n’ait jamais travaillée. Environ un demi siècle où se sont produit des événements très différents et avec la participation d’au moins deux générations de victimes, sur lesquelles il n'y avait pas d’études historiques ou académiques et pas de documentation.
 Le problème des archives a représenté une question très importante au sein des relations entre CCDH-IER et le monde associatif. C'est vrai que la loi sur les archives toujours existante au Maroc est la même qu’au temps du protectorat français et donc les archives peuvent être incomplètes, imprécises ou tout simplement absentes dans certains cas. Le CCDH insiste toujours pour dire que les membres de la commission ont pu visiter toutes les archives existantes mais lorsqu’il n'y avait pas d’archive, ce n'était pas à cause de la mauvaise volonté politique mais simplement parce qu’elles n'existaient pas. Au contraire l'AMDH a toujours insisté pour que l'IER pût accéder vraiment à toutes les archives des organismes de sécurité (gendarmerie, forces auxiliaires, FAR etc...) et obtenir toutes les garanties pour accéder aux documents et aux archives complets. Par la suite il est vrai que l'IER n'a pas eu toutes les informations pour des dossiers déterminés, le plus célèbre étant celui de Ben Barka, parce qu‘effectivement il y a eu une résistance politique à réunir et rendre publiques toutes les archives.
 L'adoption d’une nouvelle loi sur les archives et leur organisation est une des recommandations finales de l'IER et représente un résultant important soulignant l'importance d’une approche participative des associations au travail de l'IER pour augmenter la crédibilité et la potentialité de l’instance.
Souvent l'AMDH a critiqué l'IER en dénonçant son refus d’une démarche participative des ONG: « elle voulait une démarche officielle de l'État sans faire participer les ONG d'ailleurs humiliées par l'ex président qui dans un entretien a comparé les ONG a un système mafieux  .  Cet épisode représente seulement un détail mais qui décrit parfaitement la considération de la commission face au processus participatif de ses travaux ».
Mais ceci n'a pas empêché que le travail fait par les ONG même à l'extérieur a poussé l'IER à travailler mieux. On estime que les trois organisations ont suivi presque tous les travaux des commissions de l'IER ; en plus il y avait un tissu associatif qui a accompagné la question des violences graves et qui a fait beaucoup de propositions aussi. Tout ce travail à côté de l'IER, a permis de faire pression pour pousser l'IER à prendre des positions nettes et aller plus loin dans ses recommandations. Donc les ONG ont joué un rôle clé pour arriver à des résultats qui n’auraient pu être obtenus s’il n’y avait eu cette pression. Toutefois l'AMDH et quelques membres du FVJ estiment que les recommandations venues de l'IER ne sont pas suffisantes.

Chapitre 2: Les travaux de l'IER.

Disparitions forcée
Au début de ses 23 mois de travail l'IER a été engagée dans l'opération de sauvetage des données en recueillant à un  niveau central toutes les informations disponibles sur les listes des disparus qui circulent soit en interne (celles des organisations marocaines) soit sur le plan international (comme amnesty international et croix rouge internationale). En second lieu elle a recueilli des informations en écoutant aussi les témoignages des disparus survivants, un élément très important parce que pour la première fois on a pu enregistrer les témoignages des personnes qui ont souffert la condition de disparus puis libérés avant la création de l'IER. Ainsi on a comparé la description de leurs expériences avec les témoignages des anciens agents qui ont été en exercice pendant la détention et même aussi avec les archives, quand elles existent. Cette méthodologie a permis d’établir clairement la vérité sur un nombre énorme de cas.
L'IER a travaillé sur la liste de disparitions forcées telle qu’elle est définie dans la convention internationale, mais reconnaissant en plus l'existence de plusieurs catégories renvoyant à d’autres formes de privation arbitraire de liberté, suivies de privation de droit à la vie, soit  à cause d'un abus de pouvoir ou d'un usage disproportionné et excessif de la force publique lors des événements sociaux, ou suite à la torture, ou mauvais traitements ou lors d'affrontements armés.
Les plus grandes difficultés rencontrées par la commission de recherche de l'IER ont été dans la période d’investigation qui vient juste après le début de l'indépendance, lors des affrontements partisans entre l'Istiqlal et les autres composantes du mouvement de libération nationale. Dans cette période-là beaucoup ont été enlevés et disparus avec la responsabilité des organismes non étatiques mais qui parfois ont utilisé les moyens  de l'État. En plus il y a eu d’autres cas qui ne correspondaient pas à la définition internationale de disparition forcée, il s'agissait de personnes qui ont été tuées par balles lors des émeutes urbaine de 1965 et 1981 à Casablanca, 1984 dans les régions du nord et 1990 à Fès. Du point de vue de la définition internationale ce ne sont pas des disparitions forcées mais des personnes qui ont été tuées pendant des affrontements sociaux et enterrées sans que la famille n’en sache rien. Au Maroc on a trouvé deux fosses communes : celle de Casablanca et celle de Nador, qui a été découverte il y a deux ans et qui concernent les événements qui se sont produit dans les régions du nord dans l'année 1984. La fosse trouvée à Nador a confirmé la véracité des conclusions auxquelles l'IER était arrivée lorsqu’elle avait établie l'existence des personnes tuées pendant les affrontements dans le nord et enterrées. Dans la fosse de Nador on a trouvé 16 dépouilles humaines. Grosso modo l’IER a pu établir la vérité sur  742 cas qui ont été considérés comme disparus. Au terme du travail d’audition, de recoupement des sources et d’examen des réponses reçues de la part des autorités, l’IER a abouti aux résultats suivants :
L’IER a localisé avec précision les lieux de sépulture et déterminé l’identité de 89 personnes décédées en cours de séquestration à Tazmamart (31), Agdez (32), Kal’at Mgouna (16), Tagounite (8), Gourrama (1) et près du barrage Mansour Ad-Dahbi (1).
L’IER a localisé les lieux de sépulture et déterminé l’identité de 11 personnes décédées lors d’affrontements armés dont un groupe de 7 personnes décédés en 1960 (Groupe Barkatou et Moulay Chafii) et un autre de 4 personnes en 1964 (Groupe Cheikh Al Arab).
Les investigations de l’IER ont permis de déterminer que 325 personnes, considérées pour certaines comme faisant partie de la catégorie des disparus, sont en réalité décédées lors des émeutes urbaines de 1965, 1981, 1984 et 1990, du fait d’un usage disproportionné de la force publique lors de ces événements. Ce chiffre global se décompose ainsi : 50 victimes durant les événements de Casablanca en 1965 ; 114 durant les événements de 1981 à Casablanca et 112 à Fès en 1990. Pour les événements de 1984, l’IER a abouti au chiffre global de 49 victimes réparties comme suit : 13 victimes décédées à Tétouan, 4 à Ksar El Kébir, 1 à Tanger, 12 à Al Hoceïma, 16 à Nador et les localités avoisinantes, 1 à Zaïo et 2 à Berkane. Une source médicale a indiqué à l’IER que le chiffre global des victimes à Casablanca en 1981 est de 142. Cette information reste à vérifier. L’IER a pu déterminer dans certains cas et l’identité et le lieu d’inhumation des victimes, dans d’autres les lieux d’inhumation sans parvenir à préciser l’identité des victimes, et enfin dans certaines circonstances l’identité des victimes sans aboutir à localiser les lieux d’inhumation. A une exception (Casablanca, 1981), l’IER a pu constater que les victimes avaient été enterrées nuitamment, dans des cimetières réguliers, en l’absence des familles, sans que le parquet ne soit saisi ou n’intervienne.
L’IER a par ailleurs pu déterminer que 173 personnes sont décédées en cours de détention arbitraire ou de disparition, entre 1956 et 1999, dans des centres de détention tels que Dar Bricha, Dar Al Baraka, Tafnidilte, Courbiss, Derb Moulay Chérif, etc.), mais n’a pu déterminer les lieux d’inhumation. 39 cas relèvent des événements des premières années de l’indépendance, impliquant pour partie la responsabilité d’acteurs non étatiques. Les années 1970 ont enregistré le nombre le plus élevé de décès (109 cas) alors que les décennies suivantes ont connu une nette régression : 9 cas pour les années 1980 et 2 cas pour les années 1990.
Dans le contexte du conflit dans les provinces du sud, les investigations de l’IER ont permis de clarifier le sort de 211 personnes présumées disparues. 144 d’entre elles sont décédées durant ou à la suite d’accrochages armés. Pour 40 d’entre elles, les identités, les lieux de décès et d’inhumation, ont été déterminées. Pour 88 autres, si l’identité a pu être déterminée et le lieu de décès localisé, les lieux de sépulture ne sont pas encore connus. 12 personnes décédées n’ont pu être identifiées, alors que 4 autres, blessées, arrêtées et hospitalisées sont décédées dans les hôpitaux et ont été enterrées dans des cimetières localisés. Enfin, 67 personnes présumées disparues ont été reconduites à Tindouf en Algérie par l’intermédiaire du Comité international de la Croix Rouge en date du 31 octobre 1996.
Réparation
L'une des particularités de l'expérience marocaine est que la décision et le montant de la réparation est fixée par l'instance même. À différence des autres expériences dans le monde qui recommandaient à l'État la réparation, l'IER est une instance arbitrale qui a été accepté et par l'État et par le victimes et donc n'est pas susceptible d'appel (seulement s'il y a erreur matérielle dans la décision). L'instance a étudié tous les dossiers, a recueilli tous les renseignements possibles et au final a indemnisé 4801 victimes sur le total des victimes épurées de presque 17000 personnes.
Selon le responsable IER de la commission chargée des réparations on peut dire que le processus d’indemnisation individuelle est presque terminé. Dans les programmes de réparation l'IER a tenu en compte aussi la dimension de genre, étudiant le dossier sur les violations subies par les victimes selon la spécificité du sexe. Cette approche est transversale et on le retrouve dans tous les programmes, représentant une unicité dans toutes les autres expériences de justice. Les femmes ont souffert les mêmes violations que les hommes, mais en plus elles ont subi des violations particulières en raison de leur sexe. Des viols parfois, même si  ça n'était pas systématique, toute sorte de vexations comme par exemple la présence dans tous les centres de détention d’hommes uniquement pour la surveillance ; même quand les femmes devaient aller faire leur besoins étaient accompagnée par des hommes, elles n’avaient  aucune intimité, étaient privées de moyens d'hygiène pendant les règles, parfois elles ont fait des fausses couches ou ont avorté. De plus elles avaient des problèmes avec leurs enfants parce qu’il manquait tout le nécessaire.
Le programme de réparation envisage aussi un accord avec le gouvernement pour la couverture sanitaire à plus de 2000 familles. Un autre millier de cas concerne l’insertion sociale pour des gens victimes de violations et même des parents de disparus ou morts pendant la détention, qui ont besoin soit d’un travail soit d’une autre ressource pour vivre.
Réparations collectives
Il n’y a pas beaucoup de tradition dans les expériences de justice transitionnelle de programmes de réparations collectives et surtout de la mise en ouvre de ces programmes. L'IER a pensé à un certain nombre de réparations collectives pour préserver la mémoire des victimes et des régions qui ont souffert de violations et donc a préconisé des programmes de réparation communautaire pour deux type de régions:
1) Régions qui on été des lieux des centres de détentions illégaux, qui ont souffert de manier indirecte des violations. Les populations qui vivent autour des centres étaient isolées parce que les responsables de l'époque ne voulaient pas qu'on sache qu'il y avait des centres de détention. Ces populations ont été isolées, marginalisées, n'ont pas connue de développement comme des autres régions, et donc pour l'IER méritent de profiter des programmes de réparation collective. En considérant aussi la particularité que dedans ces centres illégaux il avait des détenues victimes de détention arbitraire ou parfois morts et donc même la mémoire de eux doit être préservé. L'IER a essayé ainsi de trouver une formule que alignent a la fois la demande de la population et la demande des victimes directes en disparition forcée dans ces centres.
2) Régions théâtre des violences comme dans les années 60 et 70, qui ont subi des punitions collectives lorsque, pendant les violences, l'État a réprimé d'une façon très forte. En total ce sont 11 régions: Figuig, Errachidia, Ourzazate, Zagora, Khenifra, Beni Mellal, khemiset, Nador, Al Hoceima, le quartier de Hay Mohamed de Casablanca où se trouve le tristement fameux Derb Moulay Chérif, un commissariat légal où les gens étaient détenus arbitrairement (la période normale de garde à vue a été dépassée énormément, parfois elle durait un ou deux mois et jusqu'à un ou deux ans), où il y a eu des morts et où la torture était systématique. Donc dans le point de vue de la préservation de la mémoire il représente aussi un lieu symbole.
Pour les réparations communautaires le processus est un peu plus long que pour les réparations individuelles, parce que c'est l'IER qui décide et le gouvernement applique. La réparation collective est un processus de concertation où il faut discuter avec tous les acteurs impliqués, associer les victimes, les ONG, les élus et les autorités locales. C'est donc un processus plus grand qui nécessite aussi des études, des colloques nationaux et un centre de coordination local dans chaque région comprenant les associations, les élus, les services extérieurs des départements impliqués dans la mise en œuvre. Au final c'est la CDG (Caisse de Dépôt et de Gestion), avec le conseil et un représentant de chaque coordination qui vont former le comité national de pilotage de ces projets élaborés a la base.
Le CCDH, qui a la mission de suivre les recommandations, a veillé à ce que ce programme reste conforme à la philosophie de préserver la mémoire et permettre le développement économique, sociale et culturel de la région pour la faire sortir de l'isolement et de la marginalisation. Au total, ce sont 11 régions et 31 programmes de développement et réparation avancés et dirigés par les associations locales.
Impunité et responsabilité
La question des responsabilités a toujours la priorité pour le monde associatif et même représente le premier point de désaccord entre les associations et la conduite officielle de l'IER. Pour l'AMDH la question de l'impunité est la plus importante entre toutes les garanties, pour la non répétition des violences dans l'avenir. C'est même la conception de l'impunité tel qu’elle est inscrite dans la constitution officielle de l'IER qui, selon l'AMDH, a dévalorisé les victimes des années de plomb. L'AMDH estime que le mandat a déformé la question de l'impunité comme on la trouve dans toutes les conventions internationales de protection des droits de l'homme. La question de l'impunité est primordiale dans l'engagement de l'AMDH, même avant que l'IER organise plusieurs sit-in en face du ministère de la justice durement réprimés par la police. La persécution des personnes responsables de violations « n’est pas seulement un moyen pour garantir que les choses ne se reproduisent pas dans l'avenir mais est aussi un moyen de libérer la vérité, de chercher la vérité, et avancer dans le respect de la vérité. Ca, c'est le mot d'ordre qui passe avant et après l’IER, c'est pas seulement un moyen pour garantir que les chose ne se reproduisent dans l'avenir, mais c'est aussi un discours de crédibilité des institutions ».
Pour le Forum Vérité et Justice la responsabilité individuelle n'était pas aussi importante que la responsabilité de l'État. Le peuple marocain a vécu 40 ans de violations graves des droits de l'Homme et aujourd'hui on a un système de justice qui n'est pas encore capable d’accepter de juger tous les responsables. Dans l’absolu il est normal de punir les responsables, mais après 40 ans ce n’est pas possible, et donc il valait mieux établir une commission de vérité extrajudiciaire. Mais ce qui est bien selon le syndicat des victimes, c'est qu’au Maroc il n'y a pas eu d'amnistie donc si quelqu'un veut déposer une demande de jugement, il peut la déposer et arriver toujours à la fin d’un processus judiciaire. Aujourd'hui on a toutes les informations pour dire que c'était l'État avec toutes ses institutions qui était responsable des violations, non pas seulement des personnes individuelles. Il faut toutefois mettre fin à l'impunité et l'IER dans ses recommandations a préconisé la mise en place d’une stratégie nationale pour la lutte contre l'impunité. Pour le FVJ, la lutte contre l'impunité ne peut pas être efficace si non dans une stratégie nationale qui implique la reforme du code pénal et de procédure pénale. Dans une nouvelle philosophie pénale la réforme doit impliquer tous les acteurs concernés: le ministre de justice, les avocats, l'éducation nationale, et la formation professionnelle pour que les juges soient formés ainsi que les gendarmes et la police. Touts ces acteurs ensemble doivent aussi s’ouvrir aux média et à la société civile pour le contrôle, la surveillance et l'inspection. Donc il faut une nouvelle stratégie nationale où les partis politiques, les organisations et la société civile, soient une force de propulsion qui regroupe tous ces aspects dans leur globalité.
Les membres de l'IER ne vont pas entrer dans cette polémique et rappellent tout simplement que dans son statut, l'IER est une instance extrajudiciaire et qu’elle n'avait pas absolument le droit de dépasser cette limite. Ici même il y a eu un accord entre la monarchie et les partis politiques pour tourner la page, presque une amnistie.

Chapitre 3: Nouvelles violations et transition démocratique

La limite imposée par rapport à la question de l'impunité démontre qu’elle est toujours une notion qui doit être analysée dans sa dimension politique plutôt que dans une perspective historique. Cela est évident si l'on considère la démarche du pays en transition démocratique dans un contexte internationale muet. L'approche limitée dépend de conditions politiques établies a priori comme dans le cas de limiter le domaine d’investigation historique à 1999. Aujourd'hui on peut archiver plusieurs épisodes d’abus et de violence qui trouvent leur légitimité dans le contexte international de la lutte au terrorisme: c'est le cas des arrestations, l'enlèvement et la détention dans des centres secrets de plusieurs personnes après les attentats du 16-3-2003 à Casablanca ou les saharawi ou les militantes des droits de l’homme. Faut-il donc considérer ces épisodes en continuité avec la tradition autoritaire du régime ou bien seulement des bavures du système en train de se réformer?
Pour les membres de l'instance aujourd'hui on peut parler de mauvais usage de la force publique mais pas d’usage disproportionné de la force publique qui « est uniquement quand on tire des balles contre les manifestants ». Aujourd'hui c'est vrai qu'il y a des violations mais elles sont incomparables avec celles du passé et sont plutôt presque les mêmes violations perpétuées aussi dans les pays à tradition démocratique. « Combattre les violations des DDHH veut dire aussi s’interroger de façon sérieuse et reconnaître les progrès accomplis par le pays parce que ce n’est pas juste de dire que les violations qui sont commises aujourd'hui sont comparables avec les violations systématiques du passé ». Après les attentats de Casablanca on a eu la justice lourde, et le CCDH lui-même a recommandé de regarder les cartes, parce que « aujourd'hui c'est toujours possible de faire appel ».
Même l'AMDH reconnaît que l'ampleur des violations des années de plomb a été majeure mais ça n'empêche pas que même aujourd'hui il y a des violations graves des droits de l'homme. Elles n'ont pas la même tendance qu’avant, qui était contre la gauche, contre les socialistes et les marxiste-léninistes, mais ça ne veut pas dire qu’il n'y a plus de violations graves.
Comme on a vu au début des années 90 avec la chute du mur de Berlin, l'État a entrepris sa démarche d’ouverture dans le respect des DDHH, les choses ont commencé à changer avec la libération des prisonniers politiques, la ratification des plus importantes conventions internationales et l'intégration dans la constitution de certaines institutions pour la tutelle des DDHH. Seulement à partir de 2002 on enregistre la proposition de certaines pratiques d’abus qui trouvent leur légitimation dans le cadre international muet, où la lutte contre le terrorisme est devenue  le paradigme de référence.
En plus il faut reconnaître que la lutte contre le terrorisme est devenue le prétexte pour élargir la répression à d’autres domaines. Dans les auditions parallèles préparées par l'AMDH plusieurs victimes ont déclaré avoir subi des violations graves après 1999. Ce sont toujours les étudiants, surtout à Marrakech, qui ont subi les mêmes pratiques de torture. En plus les saharawi subissent une pratique presque systématique: dans les commissariats les choses commencent à redevenir comme avant. C'est le cas de Ifni quand les forces auxiliaires sont entrés dans les maisons à l'aube faisant sortir presque toute la population suite à l'organisation d’un sit-in pour demander des droits sociaux pour la ville. Aussi le nombre des cas contre la presse a augmenté.  Aujourd'hui les procès sont sur la question de l’atteinte à la sacralité que représente un crime, mais que sous-tend la limitation de la liberté d'opinion et d'expression. Pour l'AMDH donc on ne peut pas parler de l'existence d’un véritable État de droit. Toutes ces évaluations soulignent une claire volonté politique de limiter les potentialités de l'IER. Dans le cadre de la justice transitionnelle toutes les recommandations de l'IER ne peuvent pas contrevenir les limites imposées par la monarchie. L'absence d’une condamnation officielle de l'impunité au sein de l'IER et l'acceptation de ces limites a permis que les mêmes personnes qui étaient responsables du système sécuritaire de Hassan II soient toujours à leur poste de commande et toujours responsables. La violation continue à être une pratique de l'État et un travail très bien organisé.
L’avis contraire en ce qui concerne l'analyse proposée par l'AMDH est l'opinion du FVJ. Aujourd'hui il existe des actes de torture et c'est important de suivre ce dossier à niveau de justice pénale, mais ces épisodes ne sont pas systématiques. Même la limite du mandat de l'IER en 1999 est juste parce qu’à cette époque la violation était une pratique systématique ; pour souligner l'ampleur des violations, il est suffisant de rappeler l'inhumation à Casablanca de 130 cadavres, aussi des enfants, après les événements de 1981. Aujourd'hui il y a des bavures, mais aussi, le terrorisme est un problème que les marocains ont connu directement et dans toute sa brutalité lors des attentats de Casablanca. Lutter contre le terrorisme est important, mais toujours dans le respect des DDHH, même s’ils sont très bien organisés et imprévisibles et surtout pas seulement avec une approche sécuritaire : aussi dans le domaine de l'éducation et pédagogique.
Le CCDH rappelle qu’une des particularités de l'expérience marocaine est qu’elle s'est déroulée en continuité avec l'ancienne régime politique. Contrairement aux autres expériences de justice transitionnelle au monde où il y avait une rupture soit militaire soit à la suite d’une guerre civile, au Maroc la transition démocratique est toujours en continuité avec l'ancien régime, c'est toujours la même monarchie et la même dynastie mais avec la mise en œuvre d’une expérience suis generis à la fois avec des caractéristiques en commun avec d’autres pays, soit avec sa particularité. Chaque expérience a ses limites, il n'y a pas de modèle idéal mais chaque expérience a apporté quelque chose de nouveau, et aussi l'expérience marocaine a apporté des choses à niveau international. « Le pays est en transition, c'est une transition lente, longue et progressive mais elle est là! C'est une monarchie qui est en train de procéder à des reformes mais pas tout le monde participe a ces changements, nous avons ve que malheureusement il n'y a pas eu beaucoup de mobilisation de la part des partis politiques ».
L'évaluation de l'AMDH est plus catégorique, parce qu’on ne peut pas parler de transition démocratique, mais plutôt de continuité du régime qui se renouvelle avec certaines réformes d'impact très minimal sur la vie quotidienne de la population. La transition démocratique implique nécessairement la perte de certaines prérogatives royales et la mise en place d’une nouvelle phase pour appliquer vraiment la transition. Sans un véritable État de droit on ne peut pas possiblement arriver à un État démocratique, ce processus regarde un certain nombre de garanties dont la première est que le peuple marocain doit avoir tous les droits, en premier lieu le droit a l'autodétermination. Aujourd'hui tout le pouvoir est dans les main de la monarchie, il n'y a pas de séparation des pouvoirs ou  de justice indépendante, le gouvernement n'a pas toutes les prérogatives exécutives et le parlement n'a pas toutes le prérogatives législatives, donc il ne pourra jamais y avoir un État démocratique au Maroc si la situation reste la même. Même l'alternance au gouvernement n'est pas véritable parce que quel que soit le parti politique qui ait gagné les élections, il n'est pas jamais arrivé à appliquer tout son programme, la monarchie continue à dicter la ligne politique et à nommer les ministères les plus importants. C'est vrai qu'il y a eu des reformes mais elles ne sont pas appliquées dans toute leurs potentialités, à part quelques projets très minimes sur la réparation collective ou régionale. Aucune recommandation structurante n'est appliquée, comme la question d’une bonne gouvernance sécuritaire ou la réforme de l'éducation nationale qui implique la révision des programmes scolaires qui changerait leur contenu afin de permettre aux actuelles et futures générations de connaître l'histoire commune et même l'intégration de la notion des droits humains. Le peuple marocain n’a rien obtenu dans la modification de la constitution, seulement des choses très marginales, rappelant un peu la même démarche de Hassan II dans l'application du respect de droits de l'homme. « Je voudrais que la question de l'IER intéresse toute la population, que tout  le monde se bouge pour ça. Il faut faire un pas en avant pour commencer une autre démarche, un effort humain pour connaître et pardonner ce qui s'est passé. Tout ça ne s'est pas passé si non à niveau d’une élite de la société civile qui a compris mais la majorité des jeunes n'a pas  l’information ».
Pour mieux comprendre ce passage le FVJ rappelle ce qui c'est passé dans les autres pays, pour exemple en Espagne et le compromis autour du retour du roi après Franco. Parmi les recommandations était que Franco s’occupait de l'éducation du roi Juan Carlos ; c’était une condition sine qua non pour le retour de la monarchie en Espagne et les partis politiques n'ont pas contesté ce compromis. Le processus démocratique est toujours un processus long. Donc aujourd'hui le Maroc est en démocratie telle que l'était l'Espagne après la chute de Franco, qui était un dictateur et pas un démocrate. Le Maroc essaye, est en train de construire un état démocrate. Il y a des conservateurs qui ne veulent pas que ça change parce qu’ils ont profité du système à l'époque comme aujourd'hui. Il faut avoir encore des lois qui garantissent la démocratie mais c'est un processus d’éducation et de formation: c'est ça le but de l'IER. « Ce n’est pas suffisant de critiquer, il faut être une force de proposition pour pouvoir changer les choses. Des recommandations précises qui peuvent rassembler le maximum d’acteurs autour de cette proposition de faire progresser  d’une manière sérieuse ».

Conclusion

Pour bien comprendre l'impact des programmes visant à promouvoir dans l'ordre interne les normes internationales en matière de droit de l'homme il faut le considérer dans le cadre d’un processus de « transition from authoritarian rule » (transition à partir des pouvoirs autoritaires) utilisée par plusieurs auteurs. Au Maroc, la construction d’un système politique centralisé trouve sa raison d'être dans une pratique autoritaire multiséculaire qui a donné lieu à un processus de changement lent et progressif.  Il se caractérise toujours par l'impulsion descendante de tout processus de changement et le caractère très élitiste du jeu politique.  La première étape de ce processus est la définition d’un nouvel accord politique entre les partis politiques et la monarchie tendant à redéfinir les règles gouvernant l'exercice du pouvoir sur la base de la garantie mutuelle des intérêts vitaux de chaque partie. Un accord politique que traduit le déséquilibre entre les acteurs où les partis sont toujours en situations de requérants et non de compétiteur ou substitut.
L'institutionnalisation de l'espace protestataire a permis l'intégration dans le système de gouvernement de beaucoup d’entre eux qui furent de grands opposants au régime. Plusieurs observatoires et journalistes ont réputé ce passage comme la même pratique de cooptation déjà utilisé par Hassan II. Lorsque la responsabilité de l'Etat, donc de la monarchie, a été mise en cause pour les violations des années de plomb, il fallait promouvoir une nouvelle dynamique de « relégitimation » de l'institution monarchique en essayant de coopter ceux qui sont « cooptables » à coups d’indemnisations et d'avantage. La presse indépendante marocaine est assez critique en l'attitude de certains personnages de l'élites gauchiste appelés « les rois de l'opportunisme ».
Ce n’est pas le lieu pour juger le comportement de certains personnages. Si effectivement ils ont renoncé à lutter, en trahissant leurs idéaux pour recevoir en échange des privilèges ou des avantages personnels ou si leur attitude envers les institutions est arrivée à la suite d’un parcours personnel de progressif mûrissement intellectuel qui a trouvé dans la pratique de "changer les choses de l'intérieur" sa raison d'être. Au delà des jugements, c'est important d'observer l'influence que le parcours de l'IER, considéré dans sa globalité, a eu sur la société marocaine. L'IER pouvait représenter la chance de populariser réellement la question des droits de l'homme et en même temps faire renaître, au sein de la société, une nouvelle phase de participation et renouveler ainsi la crédibilité de la politique et des institutions.
Malheureusement on peut relever que le discours des DDHH est passé seulement au niveau d'une élite resserrée, en plus déjà politisée. La plus grande partie de la population reste encore au delà du jeu politique, en sont témoignage les bas taux de participation au vote relevé dans les dernières élections législatives et dans les  récentes élections communales. La politique n'est pas perçue comme l'intermédiaire à travers lequel il est possible de changer les choses, mais plutôt le moyen pour obtenir des avantages personnels en légitimant les décisions prises par le haut. On relève le discrédit et l’insuffisante confiance envers les institutions dans la vie quotidienne de la population qui vit dans un délicat équilibre politique qui apparemment semble vouloir changer mais qui reste égal dans sa substance. L'IER est fier de rappeler que sur le passé aujourd'hui il est toujours possible de faire appel contre les responsables des persécutions, en exagérant l'importance de cette indispensable garantie démocratique. Dans la pratique quotidienne, des milliers de victimes savent bien l'inutilité d'un procès d'appel quand il n’existe aucune  garantie d'indépendance de la justice, quand les preuves contenues dans les archives d'Etat sont inaccessibles et quand les responsables des violences appartiennent à la même élite de dirigeants makhzenisés qui grâce à l'obéissance au roi ont pu faire carrière et atteindre leur position de commandement : En définitive, quand il n'existe pas un véritable Etat de droit.
Le risque est toujours de mettre sur le même niveau les victimes et les coupables et ainsi accepter le même discours prononcé par Hassan II à la conclusion des travaux de l'instance d'arbitrage de 1998 lorsqu’il justifiait la violence d'Etat dans l'intérêt de la nation et pour l'ordre social. Peut-être est-il vrai que la réception des fondements démocratiques est un parcours lent et progressif, même dans d’autres expériences dans lequel l'échange entre un régime autoritaire à un autre à aspiration démocratique est arrivé de façon nette. Mais c’est important de souligner comme ces transformations sont arrivées, si à travers un parcours constituant avec la participation élargie de toute la société ou comme gratification du haut par un régime qui ne veut pas changer dans sa substance. En conclusion, l'IER marque une des pages les plus intéressantes de l'histoire contemporaine du Maroc. Elle a mis en évidence l'activisme des hommes et femmes engagées dans la défense des droits de l'homme. L'importance d'une démarche participative est d’obtenir d’importantes recommandations et  de pousser toujours un peu plus en avant le compromis entre monarchie et la classe politique. Elle a photographié la vitalité d'une société civile audacieuse, dynamique et engagé dans le changement une classe politique souvent immobile, effrayée et fatiguée. De ce point de vue le Maroc représente vraiment un laboratoire de nouveauté dans le contexte Arabe maghrébin, et l'IER une importante expérience, guide dans la longue marche au niveau international pour la promotion et tutelle des DDHH.